Peu de gens à La Réunion ignorent que le transport est une problématique majeure qui croise des enjeux politiques, sociaux et environnementaux. Le réseau de bus interurbain « Car Jaune » en est l’une des nombreuses facettes. Si ses organisateurs et gestionnaires le présentent comme un réseau efficace et performant, ce constat semble être déconnecté des faits, tant il est peu partagé par la population et ses usagers réels.
Les années 2014 et 2015 ont vu arriver une restructuration complète du réseau, allant du renouvellement de la flotte de véhicules à la modification des tracés et horaires des lignes. Ces changements ont indéniablement contribué à moderniser le réseau, notamment en équipant les bus d’écrans, de vocalisation, et en ouvrant le système de billetterie à la dématérialisation, mais qu’en est-il de la qualité du service dans sa globalité ?
Les changements d’une telle ampleur font rarement l’unanimité, surtout lorsqu’ils ont un impact sur les habitudes et le quotidien des gens. En l’absence de concertation publique, il n’existe aucune donnée permettant officiellement d’évaluer la satisfaction des utilisateurs, mais pour ma part, en tant qu’usager à l’époque de ce réseau, ces changements se sont traduits par la suppression d’un arrêt à proximité de mon domicile, des attentes et retards causés par des correspondances éloignées ou des bus saturés (leur capacité ayant été réduite), et de manière générale, un enclavement de ma commune qui était (et demeure) pourtant une zone de transit importante.
Aujourd’hui, ma dépendance est passée du réseau Car Jaune au transport routier (qui possède aussi ses propres problèmes, mais il s’agit là d’une autre histoire). Cela m’a permis de constater que la représentation mentale que je me faisais de l’île dépendait fortement des temps de trajet, même théoriques, d’un endroit à un autre via le réseau routier. Au-delà de toute réalité géographique, j’aurais donc tendance à considérer comme proches des lieux où je pourrais me rendre en voiture par des voies rapides, et au contraire, me sentir éloigné de lieux physiquement plus proches mais impliquant une circulation plus lente.
Cette distorsion n’est toutefois pas qu’imaginaire et trouve des effets concrets dans la réalité : être en mesure de parcourir de plus grandes distances en moins de temps permet par exemple d’accéder à un marché de l’emploi plus étendu, à une offre de loisirs plus large, et tout simplement de se libérer du temps.
J’ai dessiné cette carte pour illustrer ce phénomène de distorsion, en m’appuyant précisément sur les temps de trajets et d’attentes cumulés au départ de la gare routière de la ville du Port, un lundi à midi.
Merci à Jibran Saeed Khan pour son aide précieuse dans la réalisation de la version interactive de la carte.